CHAPITRE 6 : l’autruche

Publié par tropgnons le

2022 : 10 ans d’entreprenariat, le temps passe si vite … je me revois dans ma ville de cœur (Lyon) à faire naître Champi pour la toute première fois. Au fil des années, personne ne me prenait vraiment au sérieux et se disait que « ça finirait par me passer … », comme si ce n’était qu’un passe-temps, une passion, une tendance, un amusement de jeune fille mais rien de bien sérieux. D’ailleurs, combien de fois sur des expos/salons d’artisanat on me demandait : « et sinon vous faîtes quoi dans la vie ? » Je n’en pouvais plus … comme si les artisans étaient condamnés à devoir « faire un vrai métier » pour s’en sortir. En France, j’ai comme l’impression que l’artisanat n’est que très peu considéré comme un métier à part entière …

Liberté à tout prix

Dans mon entourage familial et amical, on m’imaginait plutôt Designer pour des grandes boîtes, pour le handicap, pour des objets pour enfants etc … mais l’image de la petite polymériste à « patouiller dans son atelier » en créant des personnages était beaucoup moins classe. A vrai dire, c’est certain que je gagnerai beaucoup mieux ma vie en choisissant les premières options … mais est-ce vraiment ce que je veux ?

Oui, peut-être à long terme … mais pas en tant que salariée. J’ai en moi la personnalité d’une entrepreneure qui est capable de supporter la complexité de l’entreprenariat (lorsque c’est trop simple, je m’ennuie !) parce que j’ai des valeurs à défendre, des envies, des besoins de liberté, d’indépendance que je ne suis pas sûre de pouvoir obtenir en tant que salariée. Le monde du salariat m’a toujours effrayé : il faut avouer que je n’ai pas été bien traité en tant que stagiaire durant mes études … j’ai hélas beaucoup été exploitée. Comment reprendre confiance après ces expériences dévastatrices ?

J’ai peut-être déçu mon entourage : après toutes ces études, me voilà simplement artisane qui galère et qui ne vit toujours pas de son activité, ou difficilement. Et en prime : elle n’a toujours pas d’enfant à 32 ans ! Est-ce mon entourage … ou bien est-ce moi qui est déçue de moi-même … ?

L’autruche

Cette situation a d’abord beaucoup impacté mon couple : périodes très tendues, car financièrement mon compagnon assurait pratiquement tout … et moi … je faisais l’autruche (tu sais, cet oiseau qui plonge sa tête dans la terre et qui ne voit pas tout ce qui se passe autour de lui ?). A 22 ans, je me réjouissais de gagner un peu d’argent avec une activité qui me faisait vibrer : le modelage en pâte polymère. Mais je n’avais pas vraiment idée des charges qui m’attendaient et de la gestion que cela impliquerait ….

Plus les années passaient, plus Jérôme essayait de m’ouvrir les yeux : ce n’était plus vivable. On allait droit dans le mur, et je pouvais faire une croix sur nos projets communs. « Tu veux un bébé ? Mais tu n’es même pas capable de te gérer toi-même, et tu n’as pas conscience de combien cela coûte ! »

Il a été maladroit et me mettait beaucoup de pression qui finalement me rendait encore plus autruche … mais je le comprends aujourd’hui et j’ai même envie de le remercier. Oui, un enfant change toute une vie et oui, cela demande de l’assumer (psychologiquement, physiquement, financièrement aussi). Nous ne connaissions pas encore l’existence de notre infertilité, mais il était temps que je trouve une autre activité pour aider Jérôme … et devenir un peu plus adulte et responsable.

Les Savants Fous 

Durant plusieurs étés depuis mes 18 ans, le rôle d’animatrice auprès de différents publics en situation de handicap (enfants, adultes, avec ou sans déficience mentale, troubles du comportement, trisomie, autisme, polyhandicap, etc…) m’a permis de faire le plein d’expériences. Quelques mois plus tard, je suis recrutée en CDI pour la société « Les Savants Fous » : des animations avec expériences scientifiques ludiques et pédagogiques pour enfants (activité que j’exerce toujours actuellement).

En toute honnêteté, j’aimerais pouvoir me consacrer pleinement à ma tribu de Trop’gnons … mais Les Savants Fous me permettent de compléter ce que je n’arrive pas encore à obtenir avec mon activité artisanale pour être confortable. Je travaille donc tous les jours avec des enfants : des petits, des moyens, des plus grands, de la maternelle jusqu’au CM2.

« Ce n’est pas trop dur étant donné que tu n’as pas encore les tiens ? (d’enfants) »

Question à laquelle j’ai dû souvent répondre : « au contraire, avec leurs rires et leurs sourires, ils me redonnent parfois la force de me battre pour y arriver un jour ! » Parfois, ce sont les enfants eux-mêmes qui me demandent pourquoi je n’en ai pas. Mais certains métiers comme assistante maternelle ou enseignante ne sont pas toujours faciles à supporter lorsqu’on est une femme en parcours PMA …

Les enfants sont sans filtres : j’aime par-dessus tout leur spontanéité et leur naïveté. Avec eux, je me sens moi-même, je PEUX être moi-même : une grande enfant. Et le contact a toujours été incroyable avec eux. C’est même un petit boulot qui m’apporte énormément de choses positives (malgré parfois une certaine fatigue et perte de patience) : ma responsable a su m’accorder son entière confiance, et je reste très autonome et libre ! Je ne demandais pas mieux pour me réconcilier avec le salariat.

Le lâcher prise et l’acceptation

Mais nous sommes déjà en 2022 et une petite voix dans ma tête me dit qu’il est temps que ça bouge … cette petite voix a certainement raison, mais suis-je prête à sortir de cette fameuse « zone de confort » dont on parle sans arrêt ? En 2015 je n’étais pas prête, en 2016 non plus, en 2021 je progresse mais ce n’est pas encore ça ….

Le besoin de tout contrôler à la perfection est extrêmement fort, mais la PMA m’aura appris au moins une chose : le lâcher prise. Arrêtons de vouloir toujours tout contrôler, et essayons tout simplement d’accepter. Accepter d’être aidée, accepter d’aller plus lentement que les autres, accepter que ça ne fonctionne pas tout de suite, accepter les obstacles sur le chemin, accepter que ça prenne beaucoup plus de temps que prévu, accepter d’être critiquée, jugée, accepter d’échouer aussi. Ce que j’apprend avec la PMA, j’essaie désormais de l’appliquer avec les Trop’gnons : mais la route est encore longue … et les jugements de la société désespérément toujours les mêmes.

  • « Ce serait plus simple de trouver un vrai travail … » : parce que l’artisanat n’en est pas un ?!
  • « Et sinon, vous en vivez ? » : un artisan ne sait jamais comment interpréter cette question souvent indélicate … on est en train de me demander concrètement combien je gagne : soit on pense que je galère (et si c’est le cas, cela remue encore plus le couteau dans la plaie), soit que j’exagère avec mes prix élevés, oser demander autant d’argent est malhonnête (si seulement vous saviez ce qu’on se met réellement dans notre poche sur une vente ….), ou bien qu’on admire tout simplement mon travail et espère que je réponde « oui » pour prouver que c’est possible (si c’est le cas, j’espère sincèrement vous répondre fièrement OUI un jour !).
  • « Pourquoi tu n’adoptes pas au lieu de t’acharner ? » : sais-tu que l’adoption est encore plus longue et compliquée que la PMA ? Et qu’elle n’est proposée vraiment qu’en fin de parcours, en dernier recours lorsque l’équipe médicale a tout tenté ? Sais-tu qu’il s’agit d’une très longue réflexion avant de se lancer dans un tel parcours, encore plus que celui de la PMA ? Nous sommes toutes différentes et prêtes à supporter plus ou moins d’étapes, avec plus ou moins de courage et de force. Respectons les choix et les capacités de chacun, car nous ne sommes pas à la place de l’autre, et l’autre n’est pas à notre place !
  • « T’es encore jeune, relax ! » : ce n’est pas vraiment ce qu’on veut entendre pour nous rassurer …. l’horloge biologique, on en parle ? Sais-tu qu’à partir de 35 ans, la fertilité diminue ? Et à 40 ans, me diras-tu que je suis encore jeune ?
  • « C’est parce que t’y penses trop ! Je connais quelqu’un qui … (vous connaissez certainement la fin de la phrase avec les fameuses histoires de bébés miracles qui apparaissent quand « on n’y pense plus ») : oui, j’en ai entendu un tas d’histoires miraculeuses …. Celles des femmes qui sont parties en voyage, celles qui ont arrêté la PMA et sont tombées enceintes, celles qui ont même eu des jumeaux après avoir eu un bébé en PMA, des hommes diagnostiqués stériles qui sont devenus papas …. Oui, c’est formidable, mais l’infertilité ce n’est pas (que) dans la tête. Le psychologique peut jouer, mais il y a des couples pour qui la mécanique pure joue aussi un rôle important comme dans notre cas. Non, ce n’est pas « parce qu’on y pense trop ! Toi qui est tombée enceinte naturellement rien qu’en regardant le slip de ton homme (c’est de l’humour hein :P), met-toi à ma place et essaie de ne pas y penser en te faisant tes piqûres d’hormones dans le ventre tous les soirs jusqu’au jour du transfert de l’embryon dans ton utérus, ainsi que pendant les deux semaines d’attente avant la prise de sang … Il ne suffit pas d’arrêter la PMA, ou de partir en vacances, ou d’adopter un enfant pour miraculeusement tomber enceinte naturellement. Ne pas y penser n’est pas une baguette magique qui fonctionne pour tout le monde.

NB. à mon entourage, mes collègues et amies, mes clientes de longue date qui me lisent peut-être ici, ne le prenez surtout pas personnellement : je pardonne votre maladresse car je sais que trouver les mots n’est jamais facile <3 un conseil : lorsque je décide de vous parler de la PMA, écoutez simplement sans dire un mot … ce sera déjà très bien de pouvoir me confier et ne vous sentez pas mal à l’aise de ne pas savoir quoi répondre. Ecoutez et accueillez, tout simplement. Parfois le silence et l’écoute sont les meilleurs soutiens !

La peur : mon seul et unique frein

J’ai été formé pendant plusieurs années à la Chambre des Métiers et de l’Artisanat du Val d’Oise, j’ai pu progresser à vitesse grand V grâce à des formateurs formidables, je touchais presque du bout des doigts un rêve … celui de pouvoir développer les Trop’gnons de manière à en vivre ! Mais tout s’est arrêté le jour où ma peur a pris le dessus. Je n’étais plus vraiment la bienvenue dans le réseau d’artisans qui m’ont vite catalogué comme une menace, parce que je commençais à réussir. On est même allé jusqu’à m’accuser de plagiat … alors que j’étais l’une des personnes qui avait le plus aider les autres à leur arrivée. Une dispute de cour de récréation d’âge mental 3 ans … menée par des personnes âgées de 5 à 10 ans de plus que moi … c’était très dur à encaisser. Mon incompréhension de cette notion de « plagiat » qui n’était absolument pas justifiée et justifiable, et mon ouverture au dialogue n’ont hélas pas suffit à apaiser les tensions, et j’ai fini par volontairement me retirer. Était-ce la bonne solution, peut-être pas, mais j’avais besoin de me protéger et je ne me sentais pas prête d’y retourner pour faire face aux jugements et aux accusations à tort. Cette prise de distance a sans doute été considéré comme une preuve de malhonnêteté, mais que nenni ! Parfois, certaines personnes ont besoin de se sentir exister : le seul moyen qu’elles trouvent est d’écarter celles qu’elles considèrent comme « nuisibles », tout simplement parce qu’elles n’ont pas confiance en elles-mêmes. Aujourd’hui, j’ai réussi à leur pardonner et je sais que derrière leurs accusations, se cachait en réalité une grande souffrance et un manque de confiance. J’aurais aimé leur faire comprendre que j’étais loin d’être leur ennemie, bien au contraire.

Mes formateurs m’ont soutenue, et m’ont conseillé de revenir quelques mois plus tard pour montrer aux autres que j’étais plus intelligente et plus mature. Mais mon cœur avait été trop blessé … et ma confiance anéantie. Confiance en les autres, mais aussi et surtout en moi ! Je les ai laissé gagner car j’ai toujours été contre la guerre et les « dialogues de sourds ». De temps en temps, ma curiosité m’amène à regarder leurs actualités sur les réseaux sociaux : je constate tristement qu’elles n’ont pas plus évolué que moi et en sont toujours au même stade. Encore mieux : certaines ont disparu totalement de la circulation ! En m’écartant, elles n’ont pas brillé davantage et sont même tombées dans l’oubli …

Le réseau d’artisans me poussait à progresser chaque mois, mais du jour au lendemain je me suis sentie très seule et démunie. Entreprendre sans être accompagnée, soutenue, sans avoir de retours positifs ou constructifs est un parcours compliqué et je m’en rends compte aujourd’hui. Accepter l’aide n’est pas toujours facile car nous avons peur de ne plus être à la hauteur, d’être jugés, d’être bousculés aussi. Pour ma part, j’ai désormais peur de réussir et de revivre ces blessures du passé qui m’ont fait tellement mal … Mon inconscient a interprété le concept de réussite comme étant dangereux et dévastateur … il est temps d’y mettre un terme !

Je me suis créé mes propres freins : comment les retirer ?

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